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LE CRI DU SILENCE : LA SOUFFRANCE INVISIBLE DES FEMMES STERILES

De nombreuses femmes souffrent dans leur chair du fait de ne pouvoir procréer, maltraitées par la belle famille, rallées par l’époux, le calvaire de ces femmes est immense.

Porter un enfant en son sein, donner la vie est le désir ardent de la majeure partie des femmes dans le monde. Si pour certaines cela relève de l’évidence car elles n’éprouvent aucune difficulté à procréer, pour d’autres malheureusement c’est un parcours semé d’embuches.

L’enfant crée une «mère» et un «père». Il leur offre un nouveau statut et une reconnaissance sociale par leur contribution reconnue au renouvellement des générations, des sociétés et des lignées familiales. À l’inverse, l’absence d’enfant, par «choix» ou suite à des circonstances de vie, remet souvent en question la légitimité et les raisons entourant cette situation.

Face au besoin de poursuivre la lignée et d’être reconnues comme femmes, l’incapacité à enfanter est vécue comme une véritable épreuve. Socialement, elle est aussi l’objet de mépris, d’opprobre et de souffrance. Il est grand temps de lever le tabou qui entoure la question de l’infertilité de la femme camerounaise et se poser les questions de savoir :

Quel regard portons-nous, en tant que société, sur ces femmes ?

Que ressentent et vivent ces femmes ?

La maternité est-elle une condition fondamentale du statut de la femme?

Par définition, l’infertilité correspond à l’incapacité pour un couple de concevoir un enfant. Selon une étude du Centers for Disease Control and Prevention) L’infertilité est très fréquente puisqu’elle concernerait entre 10%  à 15% des couples.

Dans les sociétés traditionnelles, le plus souvent patriarcales, la femme doit être mère pour avoir une valeur sociale. La maternité se perçoit fréquemment comme une façon de «se réaliser». La stérilité du couple, qui lui est presque toujours attribuée, est une malédiction. Si l’infertilité est toujours attribuée à la femme ce n’est pas par ignorance de la stérilité masculine. Mais pour ne pas remettre en cause le système de domination patriarcale. Même lorsque les femmes sont la partenaire fertile du couple, «elles endossent bien généralement une partie de l’infertilité», tant psychologiquement que physiologiquement.

Un sentiment d’échec

Notre société il y a comme une injonction à engendrer pour la femme, comme si « l’on ne peut être pleinement femme si on n’est pas mère et si on n’a pas fait la preuve de sa fécondité». Car en glorifiant la grossesse elle contraint la femme à penser que l’essence du féminin réside dans la maternité. Du coup, les femmes stériles se sentent bannies, hors norme. Incomplètes.

La Fête des mères apparaît ainsi comme une journée qui exalte la fécondité mais aussi qui exclut des femmes, en particulier celles qui disent «ne pas avoir eu la chance d’avoir un enfant».

Françoise Héritier, anthropologue, a écrit : «ce qui donne à la jeune fille le statut de femme, ce n’est ni la perte de la virginité ni le mariage ni même la maternité : c’est la conception ».

De ce fait, l’état de femme stérile est particulièrement discriminant, source de souffrances et d’humiliations.  Une femme qui ne se marie pas ou qui ne fait pas d’enfant est marginalisée, dévalorisée y compris au sein de sa famille.

Pourtant, si la question de la maternité est cruciale, le terme «mère» ne désigne pas seulement celle qui a enfanté.

Une souffrance longtemps minimisée

Au-delà de la pression de la société et du regard des autres, ces femmes se sentent souvent différentes et coupables de ne pas accomplir quelque chose allant de soi. Elles doivent subir les phrases assassines du genre «on est mère lorsqu’on a donné la vie». Car ce sont elles qui sont les premières montrées du doigt quand l’enfant se fait attendre et blâmées de l’absence d’enfant.  Face à ces remarques elles ont tendance à s’isoler et à taire leurs souffrances.

Une femme stérile, est traitée comme une paria, c’est une honte pour la famille et son époux, elle est considérée comme «une rivière asséchée». Elle est affublée de nom de sorcière. Elle est vilipendée, et perçue comme une bête curieuse, suspectée tantôt de ne pas faire tout ce qu’il faut, tantôt d’en faire trop.

Le désir de procréer peut mener des femmes au bord du gouffre émotionnel. Le manque d’enfant est vécu comme un drame. La douleur et la détresse que ressentent les femmes en manque d’enfants est indescriptible. Les tests de grossesse négatifs sont vécus comme des échecs, faisant place à une grande détresse. Elles se replient sur leur « secret » évitant les invitations de leurs amis qui ont eu des enfants. Elles vivent  leur stérilité comme un handicap, une infirmité, dans une société qui met en avant la maternité triomphante. Elles développent malgré elles des sentiments qui vont de la jalousie face aux autres femmes qui enfantent à la honte, voir des femmes enceintes est difficile à supporter.

Elles éprouvent souvent le besoin de se confier ou d’exprimer leurs émotions, leurs souffrances, mais se heurtent bien souvent à des rejets. La détresse et les répercussions émotionnelles s’expriment la plupart du temps sous la forme de ressentis tels que la colère et /ou la frustration, surtout lorsque les démarches et les traitements effectués auprès des guérisseurs n’aboutissent pas. Il est donc difficile pour ces femmes de faire le deuil de leur fertilité, et de la maternité.

Dans des cas isolés, il arrive souvent que, impatiente d’avoir des enfants et de savoir de qui vient réellement le problème, la femme ira chercher la confirmation ailleurs. Si, au cours d’une de ses aventures, la femme venait à tomber enceinte, elle gardera le secret pour elle et attribuera la grossesse à son mari. Certains hommes au fait de leur stérilité ferment les yeux sur la relation adultérine, dans la mesure où elle permet d’avoir un enfant.

L’homme semble ne jamais être considéré comme étant la cause de l’infertilité…

La cause de la stérilité est presque toujours attribuée aux femmes. Pourtant, les hommes ne sont pas épargnés par le phénomène, au contraire, la fertilité masculine serait même en baisse.

Les hommes sont parfois incités soit à divorcer, soit à répudier leurs femmes, soit à prendre une deuxième épouse pour transmettre sa lignée. Dans ce contexte les femmes semblent plus vulnérables que les hommes, car  être mère est un signe de réussite sociale.

Même si l’on soupçonne qu’elle est le fait du mari, Il y a un tabou autour de l’infertilité masculine. Les couples et les proches du couple préfèrent parfois faire comme si c’était la femme qui était infertile.  L’entourage familial, pour protéger celui-ci d’un possible déshonneur, fera parfois tout pour l’attribuer à son épouse. Il s’agit là de la « féminisation » de la stérilité qui fragilise encore plus une condition féminine déjà précaire dans notre société.

La stérilité reste donc stigmatisante, pour les femmes. Elle est toutefois une honte et elle est minutieusement cachée. A ces blessures s’ajoute aussi souvent l’angoisse de perdre leur compagnon.

Devant cette terrible barrière que représente la stérilité, parfois il est posé la question de savoir : « Pourquoi vous obstinez vous comme cela, vous n’avez qu’à adopter ! »

Vous nous direz sans doute pourquoi ne songent-elles pas à l’adoption ou à la maternité par substitution, car enfanter n’est pas la seule façon de donner et promouvoir la vie.

À quelles solutions ces femmes infertiles recourent-elles?

Il faut savoir que ces femmes traversent déjà un parcours complexe dans leur quête de donner la vie,  elles essaient d’abord des traitements traditionnelles en faisant confiance à leur médecin et en mettant tous leurs espoirs dans la médecine traditionnelle, puis devant des échecs répétés des traitements ou un épuisement physique et psychologique face à de tels méthodes, elles se tournent finalement vers la maternité de substitution ou vers l’adoption comme une alternative à l’infécondité, mais l’adoption au Cameroun est un véritable parcours fait d’attente, d’espoir, de culpabilité, et parfois de souffrance.

Le recours à l’adoption

Le code civil camerounais pose les conditions à remplir. Au Cameroun, il existe deux types d’adoption reconnus par le Code civil: l’adoption simple et l’adoption plénière.

La première laisse subsister des liens entre l’enfant et sa famille d’origine; alors que la seconde provoque une rupture de lien entre les deux familles. L’adopté devient un enfant légitime dans la famille adoptive.

l’adoption plénière (légitimation adoptive)

Conditions relatives aux adoptants

L’adoption plénière ne peut être demandée que conjointement par des époux non séparés de corps dont l’un au moins est âgé de plus 45 ans révolus, 35 ans s’ils sont marié depuis plus de 10 ans et n’ont pas d’enfants de leur mariage. Les adoptants doivent avoir 15 ans de plus que l’enfant qu’ils se proposent d’adopter. Les candidats ne doivent avoir ni enfants, ni descendants légitimes. L’existence d’enfants légitimés par adoption ne fait pas obstacle à de nouvelles légitimations adoptives.

Conditions relatives aux adoptés

L’adoption plénière n’est permise qu’en faveur des enfants âgés de moins de 05 ans abandonnés par leurs parents ou dont ceux-ci sont inconnus ou décédés, article 368 du code civil.

Toutefois, à l’égard des enfants confiés par l’assistance publique ou par une association de bienfaisance investie de l’exercice de la puissance paternelle à des époux ne remplissant pas encore les conditions légales pour adopter, la limite d’âge de 05 ans sera reculée d’autant de temps qu’il en sera écoulé entre le moment où l’enfant a été confié à ces époux et celui où ces conditions auront été remplies.

Formalités légales requises : L’adoption simple

Le consentement à adoption est signé devant un juge de paix ou un notaire par les adoptants et par le représentant légal de l’adopté ou par l’adopté lui-même s’il a plus de 16 ans L’acte d’adoption doit être homologué par le Tribunal de Grande Instance du domicile de l’adoptant.

Saisine du Tribunal

Le Tribunal est saisi par une requête du représentant légal de la partie la plus diligente, à laquelle est jointe une expédition de l’acte d’adoption. Le Tribunal se réunit en la Chambre de Conseil.

Après avoir entendu le procureur de la République et sans aucune forme de procédure, le tribunal prononce, sans énoncer de motifs, qu’il y a lieu, ou qu’il n’y a pas lieu à adoption.

Dans le premier cas, le tribunal décide dans la même forme s’il est appelé à statuer sur le nom de l’adopté ou sur la rupture de ses liens de parenté avec sa famille naturelle ; Le jugement qui admet l’adoption est prononcé à l’audience publique

Un extrait du jugement ou de l’arrêt admettant l’adoption est inséré dans un journal d’annonces légales publié au lieu du domicile de l’adoptant.

La légitimation adoptive ou plénière

L’adoption plénière, comme celle simple est essentiellement judiciaire et comporte quelques nuances. La légitimation adoptive ne peut résulter que d’un jugement rendu sur requête en audience publique, après enquête et débats en chambre de Conseil.

Intervention du service social

Dans la pratique, le service social joue un rôle significatif en amont de la phase judiciaire. Dans cette phase pré-adoptive, les services sociaux entreprennent des actions diverses, notamment : l’enregistrement de personnes désireuses d’adopter, les enquêtes sociales, la sélection des familles d’accueil, la délivrance d’agréments à l’adoption, la prise en charge et/ou le placement dans les familles, et la saisine des tribunaux pour adoption.

Les effets de la légitimation adoptive

La légitimation adoptive entraine substitution d’une filiation fictive à une filiation par le sang, substitution définitive en raison du caractère irrévocable de cette adoption. Il convient donc d’envisager les effets à l’égard de la famille biologique d’une part et d’autre part à l’égard de la famille d’adoption.

A l’égard de la famille biologique, la légitimation adoptive entraine automatiquement une rupture complète des liens avec la famille d’origine.

Seuls subsistent les empêchements à mariage. Pour le reste, le lien de filiation par le sang est entièrement effacé. L’enfant ne porte plus le nom de ses parents d’origine, n’est plus créancier ni débiteur d’une quelconque obligation alimentaire à leur égard. Toute vocation successorale disparait.

A l’égard de la famille d’adoption. L’enfant objet de la légitimation adoptive entre irrévocablement dans la famille de ses adoptants. Il y acquiert le statut d’un enfant issu du mariage.

C’est ainsi qu’il peut succéder à ses parents adoptifs comme leur enfant légitime et peut même avoir des droits dans le patrimoine des ascendants des adoptants s’ils ont donné leur adhésion par acte authentique à la légitimation adoptive (article 370 du Code Civil). Il n’a plus de passé, le nom de son père adoptif sera substitué à celui de sa famille d’origine. Sa situation est comme celle d’un enfant légitime. Les effets sont absolus.

De ce qui précède nous constatons qu’en dehors des lenteurs judiciaires, bon nombre de couples ne remplissent pas les conditions exigées par la loi, et se retournent alors vers la maternité de substitution

La maternité de substitution.

La maternité de substitution désigne tout un ensemble de pratiques consistant, généralement, à «obtenir d’une femme, gratuitement ou moyennant rémunération, qu’elle porte un enfant pour une autre, en s’engageant à le confier à la naissance». Il s’agit de la gestation pour autrui. En l’absence d’encadrement juridique, ces pratiques sont décriées essentiellement en raison de la logique de marchandisation du corps de la femme qu’elles renfermeraient.

Il existe également deux types différents de gestation pour autrui: la maternité de substitution traditionnelle et la maternité de substitution dite moderne.

Le premier type de maternité de substitution ou «Fosterage» est la maternité de substitution traditionnelle, elle consiste pour un parent à se départir volontairement d’un enfant et le confier à un couple. Il s’agit d’un concept de la solidarité africaine, de la famille élargie. Ainsi selon un proverbe africain l’enfant n’appartient pas à son géniteur mais à celui qui l’a élevé.

Cependant cette méthode a pour inconvénient que les parents biologiques gardent leurs droits sur l’enfant confié.

Une autre pratique du genre mais moins controversée et pratiqué dans notre société est celle du recours aux mères porteuses ou (gestation pour autrui). Ce recours implique que des parents passent un contrat pour se procurer un enfant en utilisant le corps d’une femme. En l’absence d’encadrement juridique, les conventions de maternité de substitution peuvent donner lieu à plusieurs dérives par exemple la marchandisation du corps des femmes et des enfants, elle doit de ce fait être règlementée.

De l’infertilité à l’assistance médicale à la procréation

Après des mois, voire des années d’essais infructueux, pression sociale, sentiment de culpabilité lancinant et volonté à toute épreuve,  certaines femmes se lancent dans la -procréation médicalement assistée (PMA) pour concevoir, et font face à un parcours du combattant souvent long et douloureux, guidées par un seul rêve: avoir un enfant.

Au Cameroun les techniques des traitements de procréation médicalement assistée et des centres d’aide médicale à la procréation existent depuis quelques années, mais ces techniques s’adressent encore à une minorité de privilégiés et sont onéreuses, pourtant elles offrent entre 25% et 30% de réussite.

L’on assiste à une émergence des cliniques qui accompagnent des femmes dans leur problème de fertilité et des spécialistes en la matière tels que : La clinique Odyssée du docteur Ernestine Gwet-Bell, gynécologue obstétricienne spécialisée en infertilité à Douala, au Cameroun. Qui est le premier centre de fertilité au Cameroun depuis 1997.

Le Chracerh de Yaoundé du docteur Jean-Marie Kasia , premier établissement public à pratiquer la fécondation in vitro en Afrique subsaharienne.

La clinique de l’aéroport de Douala du docteur Guy Sandjon.

La clinique Mario avec le docteur Talla Tadem Gervais qui est un expert en médecine de la reproduction.

Pour ne citer que celles-là.

Ces centres d’aide à la fertilité offrent des traitements hormonaux, restauration ou désobstruction des trompes, traitement de l’endométriose, et réalisent des Inséminations artificielles  et des fécondations in vitro (FIV).

Un gynécologue que nous avons rencontré pour les besoins de cet article, nous a indiqué que les hommes y sont très rares dans les cliniques de fertilité, excepté pour le prélèvement de sperme, c’est la femme qui subit tous les traitements et opérations de la reproduction médicalement assistée.

L’on déplore toutefois l’absence d’encadrement légal de la PMA au Cameroun ce qui donne lieu à des dérives.

Pour conclure, il faut savoir qu’il y a une omerta autour de l’infertilité. Pourtant, elle augmente d’année en année. Il faut informer et lever ce tabou. Ce n’est pas une honte.

A toutes ces femmes qui hurlent dans le silence, qui ont mené le parcours du combattant contre la stérilité cet article vous est dédié. Courage, femmes fortes.

Et si on arrêtait de les stigmatiser ?

Sylvie EKOBE / Juriste

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1 Comment

  1. Lontchi ndezo Hervé

    Très belle analyse Ekobe. Je suis vraiment flatté par ta plume

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