De nombreuses familles ont encore été envoyées dans la rue.
Il s’agit des centaines de populations pour la plupart des autochtones de Bali, qui ont été forcées de déguerpir parce que l’espace sera occupé par un hôtel (Marriott).
C’est à Dikolo Bali, espace connu sous l’appellation de «alimentation Koumassi», situé dans le premier arrondissement de la ville de Douala que de nombreuses habitations ont été démolies.
Plus aucun bâtiment, l’espace a été réduit en un champ de ruines le samedi 14 mai 2022 en fin de matinée. Ce lundi matin, les lieux sont envahis par des personnes qui récupèrent des objets destinés à la vente ou à un usage quelconque. Ce sont des Jeunes hommes, femmes et enfants que nous trouvons à cet endroit. Ils se ravitaillent. Avec des marteaux, ils cassent les parpaings pour extraire du fer. Les femmes ramassent du bois, les restes des charpentes détruites par les engins.
Des histoires de vies détruites…
Nous retrouvons Alex une victime des casses, il est adossé à l’angle d’un mur qui a échappé à la fureur des gros engins. Cet homme de 43 ans a le regard jeté dans le vide. Lui et sa famille ont été envoyé dans la rue. Son histoire, celle de sa famille et sa culture n’ont plus d’existence, nous dit-il. Tout a été réduit en miettes. La maison où il est né, celle qui abritait encore son vieux papa, ses frères et sœurs ainsi que ses neveux.
«Dans cette maison, il y a toute l’histoire de la famille. Depuis l’arrière-grand-père jusqu’aux petits fils. Cette histoire s’est envolée. Ils ont mis fin à notre histoire avec ce quartier samedi aux environs de midi. L’une des maisons qui faisait dans la location des bâches et chaises lors des grands événements, qui ont par exemple servi à certains premiers ministres comme Achidi Achu. Et aujourd’hui, elle est toute en lambeau. Voilà une page du quartier Dikolo qui se tourne»,
dénonce Alex le cœur serré, il est membre de la famille Eboumbou qui habite ce quartier depuis des décennies.
Alex a un lien fort avec ce quartier depuis plus 40 ans. Les mots pour lui ne suffiront jamais pour décrire le mal qu’il ressent face à cette destruction. C’est une vie qui s’en va, lance-t-il.
«Tous ces gens étaient des familles et puis beaucoup d’entre eux n’ont même pas où se recaser. Dans ce genre de situation qu’est ce qu’on fait ? Dans cette maison, il restait encore le père et d’autres enfants. Il est obligé de vivre chez l’un de ses enfants. C’est un choc»,
ajoute Alex.
Ils sont nombreux dans cette situation. Jeanne fait partie des enfants qui ont grandi dans ce lieu.
«Ils ont détruit la maison de ma grand-mère. Toute une demeure familiale. Sans aucun dédommagement alors que le titre foncier existe. Le pire c’est qu’ils débarquent sans prévenir. Les femmes et les enfants sont sans abris »,
s’indigne-t-elleCet espace est présenté comme un domaine d’utilité publique depuis 2015, avec le titre foncier 750. Seulement ledit titre foncier serait celui d’une parcelle de 242m2 à Deido. Les maisons détruites à Dikolo Bali doivent céder la place à la construction d’un hôtel (Marriott) sur 4 hectares. Plusieurs réunions ont eu lieu avec les familles sur les modalités de leur déguerpissement. Mais les destructions se sont faites sans avertissement, certaines maisons avaient encore leurs contenus.
«On réfléchissait encore comment faire pour partir. Nous avons eu plusieurs réunions. Beaucoup de riverains n’étaient pas contre le départ. Mais ils voulaient une indemnisation de manière à ce qu’ils puissent trouver un espace où se recaser. Parce qu’aujourd’hui le coup du loyer, le coût du terrain est très élevé. Vendredi aux environs de 23h, un voisin m’appellent pour me dire qu’ils vont casser. Tous ceux qui pouvaient m’aider étaient loin d’ici. A cette heure de la nuit, je ne savais plus quoi faire. On a juste récupéré ce qu’on pouvait, le reste dans les décombres»,
fait savoir Alex.
La colère du peuple Douala…
Dikolo est le nom d’un cours d’eau historique et plein de symboles, devenu un village qui a abrité depuis plus de 100 ans les familles Douala. Les casses orchestrées dans ce quartier est la goutte d’eau de trop.
Les démolitions des villages allant de Nkongmondo, à New Bell, passant par Ngangue et récemment Essengue, contribuent à l’affaiblissement des chefferies et commencent à exciter la colère des chefs traditionnels.
Le chef supérieur du canton Bell est monté au créneau à la suite des démolitions de Dikolo Bali et parle de « génocide culturel du peuple Douala ».
« Personne ne peut accepter une telle injustice sans s’en indigner, personne ne peut accepter une telle prédation de ses terres sans s’en offusquer, personne ne peut accepter une telle barbarie sans réagir, personne, aucun ne peut voir son peuple souffrir, disparaître, se disloquer, perdre ses biens sans exprimer sa colère ! C’est pourquoi, aujourd’hui je marque ma solidarité à l’endroit de mon peuple et j’interpelle toute l’administration jusqu’au plus haut sommet de l’État pour lui dire que TROP C’EST TROP »,
s’offusque Jean Yves Eboumbou Douala Manga Bell, chef supérieur du canton Bell, dans un communiqué.
C’est une situation qui interpelle l’administration sur les droits des peuples autochtones. Ils perdent tout « avec violence, sans respect ni considération ». Le chef supérieur appelle l’État Camerounais à respecter les textes législatifs et les traités ratifiés relatifs aux minorités et aux populations autochtones.
Il est suivi dans cet élan de colère par le Prince René Duala Manga Bell, Chef Supérieur du canton Bell des Douala, qui a adressé une lettre ouverte au président Paul Biya dans laquelle il regrette que l’Etat du Cameroun perpétue des « braquages en règle dans l’espace vital du peuple Sawa ». Une antropophagie longuement décriée sur le cyberespace.
L’espace sera occupé par un hôtel 5 étoiles
L’expropriation pour cause d’utilité publique a cédé la place à une cession du titre dans le domaine privé de l’Etat au groupe Marriott International représenté par un canadien d’origine camerounaise du nom d’Olivier Chi Nouako. Il est avocat, président directeur général de l’entreprise «Immigration and business Canada», basée au Canada. Le groupe hôtelier américano-canadien avait en effet, obtenu du gouvernement camerounais un bail emphytéotique de 50 ans renouvelables sur le site querellé. Le projet Marriott de Douala prévoit la construction sur 4 hectares, d’un édifice pour une enveloppe de 60 milliards de FCFA, tandis que le peuple déguerpi est aux abois.
Rachèle KANOU