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CENTRAFRIQUE : TOUADERA CHASSE DANIEL DARLAN DE LA COUR CONSTITUTIONELLE

Depuis quelques semaines, l’actualité politique centrafricaine est happée  par le bras de fer qui oppose la désormais ex présidente de la cour constitutionnelle la professeure Daniel Darlan au Président Faustin Archange Touadera.

Pour plusieurs observateurs sur place à Bangui, cette bataille aux allures de duel juridique pourrait durer plusieurs mois. « En choisissant de chasser Mme Darlan de la cour constitutionnelle, Touadera a un ouvert un front qu’il ne saura peut-être pas arrêter de sitôt » regrette un journaliste de la presse locale.

Alors qu’elle a été évincée de la cour constitutionnelle par décret présidentiel lundi le 25 octobre dernier, Daniel Darlan a adressé une lettre au président de la République dans la soirée du vendredi 28. Le courrier rendu public par un média français expose l’inconstitutionnalité de la décision prise par le chef de l’État centrafricain.

Au cœur de l’argumentaire juridique de la toute première femme à siéger à la tête de la cour constitutionnelle au pays de Bokassa se trouve l’article 99 de la constitution qui dispose que la durée du mandat des membres de la cour constitutionnelle est de sept ans non renouvelable. « Ainsi, les Juges constitutionnels ont démarré leur mandat par la prestation de serment requis par la Constitution le 24 mars 2017, ce mandat s’achèvera donc au bout de sept ans, c’est à dire le 24 mars 2024″ écrit-elle.

Reprenant à son compte le principe d’inamovibilité des juges constitutionnels établi par l’article 102 de la loi fondamentale, Daniel Darlan rappelle aussi les seuls motifs de droit pouvant justifier la fin de son mandat à savoir : son décès, sa démission ou son empêchement définitif.

Il apparaît donc clairement, selon la lettre de l’enseignante de droit, que la décision unilatérale du président de la République viole clairement la loi et pourrait exposer la République centrafricaine à une énième crise politique dont elle n’a pas besoin. « Nous allons assister à une cascade de violations en série, les prochains textes étant viciés automatiquement par les précédents. En effet: Les nouveaux juges seront désignés sur une base illégitime car viciée » prévient-elle.

La mise à l’écart de la présidente de cour constitutionnelle, une décision impopulaire

Dans les rues de Bangui ainsi qu’au sein de la classe politique centrafricaine, la décision de la mise à l’écart de Daniel Darlan passe mal. Contacté par notre rédaction, un juriste centrafricain parle de « décision imbécile motivée par une ivresse « bokasienne » du pouvoir « . Un avis partagé par une plusieurs partis d’opposition qui ont, dès la publication du décret présidentiel querellé, marqué leur désaccord.

Pour Crépin Mboli, coordonnateur du Bloc Républicain pour la défense de la constitution (BRDC), le président de la République s’est mis en posture de hors la loi. « Nous sommes désormais en dehors de l’ordre constitutionnel. Il appartient à la Cour Constitutionnelle de le restaurer formellement en annulant ce décret et au peuple de la défendre » écrit-il dans un message publié le 26 octobre. Le « Kwa Na Kwa », parti de l’ex président François Bozizé quant à lui estime que le président de la République s’est rendu coupable de « crime de haute trahison » et devrait par conséquent être destitué.  Pour ce parti autrefois aux affaires, Daniel Darlan reste la présidente de la cour constitutionnelle. « Au-delà des questions juridiques, cette décision ternit fortement l’image de la République centrafricaine en portant un grand coup à une institution dont la pertinence des décisions et avis étaient unanimement salués sous l’ère de la juge illégalement déchue » commente un haut cadre du parti dans une radio émettant à Bangui.

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Daniel Darlan, victime d’un règlement de compte ?

La question revient en boucle dans les débats et même si les opinions semblent tendre vers la thèse complotiste, les partisans du Président Touadera ont leur mot à dire

 » C’est un faux débat. Mme Darlan tenait sa place à la cour en vertu de la disposition qui veut qu’un siège soit accordé à une enseignante et, depuis quelques jours, elle a été mise en retraite en tant qu’enseignante. Elle n’a donc plus qualité à siéger «  argumente Alliance, un juriste militant du Mouvement cœurs unis, le parti politique aux affaires à Bangui. « L’ex présidente de la cour constitutionnelle et ses partisans font de l’excès de zèle. La loi c’est la loi. À 72 ans (ndr âge de Daniel Darlan), on devrait être en retraite depuis. La loi est dure mais c’est la loi » ajoute Paulin Magore, un autre militant du même parti.

Le 17 octobre dernier, le ministre chargé du Secrétariat général du gouvernement et des relations avec les institutions Maxime Balabou a effectivement instruit la mise en retraite de la professeure Darlan. Une décision qui mettait de facto fin à ses fonctions de juge auprès de la cour constitutionnelle suite à la perte de son statut d’enseignante, selon la logique du pouvoir de Bangui. Une logique qui a du mal à convaincre la classe politique.

Un militant du BRDC nous confie que la décision du président de la République serait motivée par les récents affronts subis par le gouvernement sur deux projets chers à Touadera à savoir la révision constitutionnelle et la validation du Sangocoin comme monnaie électronique officielle en Centrafrique. Des projets qui n’ont pas été favorablement accueillis par la cour constitutionnelle.

 » C’est dommage de savoir que Touadera use de telles manœuvres pour se maintenir au pouvoir. Ce président nous a paru sympathique à ses débuts » regrette Clément V. chercheur en droit constitutionnel à l’université de Yaoundé 2.

John Matou

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