67 femmes tuées au Cameroun en 307 jours, c’est le chiffre qui résonne au lancement de la campagne nationale des 16 jours d’activisme contre les violences basées sur le genre, tenu à Yaoundé.
La 18e campagne mondiale des 16 jours d’activisme contre les violences basées sur le genre (VBG) a débuté le lundi 25 novembre, journée internationale de l’élimination de la violence à l’égard des femmes et des filles. Pour le lancement de cette campagne, le ministère de la promotion de la femme et de la famille a rassemblé à Yaoundé, différentes parties prenantes pour la protection des droits des femmes et des filles, un évènement qui a dévoilé le sombre tableau des féminicides au Cameroun.
67 feminicides en 307 jours dont 24 crimes conjugaux
Le rapport des féminicides pour l’année 2024 a été établi par dame Clarence Yongo, la journaliste dirigeante du web média féminin Griote. 67 cas de féminicides ont été recensés et documentés par Griote du 13 janvier 2024 au 15 novembre 2024. Sur une affiche conçue par le média en ligne, les visages de quelques victimes ont été exposés au vaste public que comptait la ministre de la promotion de la femme et de la famille (Minproff). Des femmes qui ont vécu les pires atrocités et certaines ont sollicité en vain de l’aide, comme expliqué par dame Clarence Yongo. «Sur cette affiche, nous avons des femmes qui même après leur décès sont moquées (…) Vous avez sur cette affiche, des victimes qui ne sont ni écoutées par leur propre famille, ni par la belle-famille. Vous avez sur cette affiche, des personnes qui portaient un sourire et qui aujourd’hui sont parties précipitamment parce qu’un bourreau quelque part en a décidé ainsi», révélait la Ceo de Griote tv. Les circonstances du meurtre de certaines d’entre elles sont racontées dont le cas d’Alida Marceline, 21 ans, assassinée le 9 juin 2024 à Douala. «L’histoire d’Alida c’est celle d’une jeune fille qui a une vingtaine d’années et ne demande qu’à vivre sa vie. Ce qui se passe c’est qu’elle rencontre un monsieur … Ce monsieur la bat au quotidien. Elle décide de quitter le foyer … dépose plusieurs plaintes. Elle quitte le domicile de son compagnon pour se rendre dans sa famille au village. Elle est rejetée par cette famille, est obligée de revenir à Douala. Elle va demander refuge chez le voisin. Et vous savez-quoi ? Ce monsieur(bourreau) va mettre le feu chez les voisins. Et cette jeune femme va décéder avec trois personnes », relate la journaliste d’investigation. Un récit face auquel le public n’a pas manqué d’exprimer son choc tout comme face aux autres récits relatés par la journaliste. Enfants et adolescentes ne manquent pas dans cette longue liste de meurtres féminins qui pour certains ont été précédés de viol et tentative de viol. Ces cas sont classifiés en plusieurs catégories, à la grande surprise, des femmes se sont également rendues auteures de féminicides en commanditant les meurtres des amantes de leurs époux /compagnons. « Crimes liés à l’insécurité (31), crimes conjugaux (24) en plus de 02 victimes collatérales de sexe féminin, matricides (03), meurtres commandités par les compagnes (03), fratricide (01) ». Indique le tableau synoptique des feminicides de Griote. Celui-ci renseigne aussi sur la région la plus insécurisante pour la femme en 2024. La région du Centre en tête des cas de féminicides en 2023, laisse sa place cette année au Littoral qui enregistre 19 femmes tuées. Elle est suivie par le Centre ou 16 femmes ont été tuées tandis que la région du Sud est au bas de l’échelle avec 02 cas. Le total des meurtres de femmes en 2024 est légèrement supérieur de celui 2023 où Griote a comptabilisé 66 cas de janvier à décembre. Ces statistiques rendent compte de la situation sécuritaire alarmante des femmes et des filles au Cameroun
La ministre Marie Thérèse Abena Ondoa a attiré l’attention sur le fait que les violences faites aux femmes sont des atteintes aux droits humains. «Les violences faites aux femmes et aux filles constituent une violation des droits de la personne. Nous avons suivi des exemples qui nous ont fait couler des larmes. Les nations Unies estiment qu’une (01) femme sur trois (03) dans le monde a subi des violences sexuelles du simple fait d’être une femme », déclare la patronne du Minproff.
Une véritable stratégie de riposte contre les violences faites aux femmes et aux filles (VFF) s’impose et c’est dans cet esprit qu’est organisée la campagne nationale des 16 jours d’activisme contre les violences basées sur le genre. «Pour sa 18e édition, le Cameroun s’aligne au terme rendu par les Nations Unies visant à mettre une fois de plus les mesures prises par toutes les parties prenantes que nous sommes en matière de prévention, de protection et de prise en charge des victimes survivantes et des stratégies de mobilisation, pour permettre leur réinsertion sociale». Des instruments ont été évoqués par le coordonnateur des Nations Unies au Cameroun, notamment la mise en place d’une vingtaine d’unités spécifiques dans les commissariats pour l’accueil des filles et femmes victimes de violences. Par ailleurs, des contacts secours évoqués par la ministre, sont à la disposition des populations en cas de violence de toutes formes. Il s’agit des numéros 116 et 1520 respectivement pour le ministère de la promotion de la femme et de la famille et pour la commission nationale des droits de l’homme. Une proposition de remédiation vient aussi de la culture africaine.
La conception africaine de la femme, pour stopper les violences basées sur le genre
Le Professeur Emmanuel Pondi, propose un retour aux sources pour barrer la voie aux violences faites aux femmes et aux filles. «Je pense que quand on regarde les causes, nous en tant qu’Africains, nous devons nous refugier sur ce que nous avons de cher, c’est-à-dire notre culture», déclare le Professeur pour qui la question de la place de la femme dans la société traditionnelle va influencer les hommes en faveur du respect des droits des femmes. « La première chose à savoir c’est que la société africaine est materno-centrée. C’est-à-dire que tout part de la femme et tout revient vers la femme … Je parle de l’Afrique au sud du Sahara. Comment le savons-nous ? (…) quand nous sommes réunis et que les hommes doivent décider, les hommes ne décident jamais de leurs problèmes en étant seuls. Ils disent toujours nous suspendons les travaux et nous reviendrons demain. S’ils le disent c’est parce qu’ils vont chercher conseil auprès de leurs femmes. Et quand ils reviennent le lendemain, ils disent nous avons décidé de ceci de cela», explique l’universitaire. Face à cette place capitale de la femme pour l’équilibre dans la société africaine, les droits de la gent féminine sont à chérir et les autorités doivent y veiller en sanctionnant rigoureusement ceux qui s’aventurent à bafouer ces droits. « Il faut ici aujourd’hui stigmatiser la violence. Il faut à la limite même la sanctionner de la manière la plus importante, de la manière la plus grave » argue-t-il.
Le Professeur Marie Thérèse Abena Ondoa exhorte à l’implication de tous dans l’activisme contre les violences basées sur le genre, en invitant à l’implémentation des mesures sus-évoquées au niveau individuel et collectif. «Je pense que nous devons rentrer avec des résolutions fermes à appliquer dans notre environnement, ainsi que dans notre entourage, chez nos enfants et nos petits-enfants », recommande la patronne du Minproff.
Vivement que ces mesures apportent soulagement aux victimes sur le terrain, c’est en tout cas le souhait des partenaires du Minproff dont UNFPA qui a appuyé ce département ministériel dans cette activité.
Chanelle NDENGBE