Si les discriminations de toutes sortes contre les femmes sont prévues et réprimées par les instruments juridiques tant nationaux qu’internationaux, il n’en va pas de même du problème spécifique des rites de veuvage. Il est temps que cette question qui relève de notre génie culturel soit prise en compte par le législateur.
Le Droit rattache le qualificatif de «veuve» à l’épouse dont le conjoint est prédécédé. Au sens juridique du terme donc, pour qu’une femme soit considérée comme une veuve, il faut qu’elle ait été au préalable unie à son époux défunt par les liens d’un mariage régulier tant sur la forme que sur le fond. A ce niveau pourrait se poser le problème de la validité des mariages célébrés coutumièrement et dont le législateur prescrit la transcription dans les registres d’état civil du lieu de naissance ou de résidence des époux, formalité qui n’est pas toujours observée. Qu’à cela ne tienne, veuve de droit ou veuve de fait, toutes sont soumises le moment venu aux rites de veuvage.
LES DROITS RECONNUS AUX VEUVES
Nombre de veuves sont expulsées du domicile conjugal, et les biens laissés par le mari spoliés.
Entre douleur, déchirure et humiliation du rite de veuvage, les veuves sont confrontées à une autre cruauté pire que la disparition de leurs maris. Elles doivent faire face à la belle-famille. Dans certaines régions du pays, les rites sont plus contraignants pour les femmes que pour les veufs qui subissent moins de frustration et peuvent se remarier très vite contrairement à la veuve qui doit rester seule le plus longtemps possible. Pourtant, il existe une loi bien précise qui stipule que la veuve a droit aux biens de son défunt mari.
«Le traité de Maputo qui a été ratifié par le Cameroun n’exige plus que la femme ait à signer le régime de la communauté des biens pour hériter de son mari. Ses enfants et elle sont les légataires des biens du défunt ».
LE POIDS DES TRADITIONS ET DE LA COUTUME DANS LA SUCCESSION DES FEMMES VEUVES
La coutume, dans le meilleur des cas, accepte qu’elle soit juste usufruitière. L’usufruit la confine à continuer d’occuper la maison familiale et à jouir des meubles qui s’y trouvent jusqu’à sa propre mort, elle peut aussi cultiver les champs et percevoir les revenus (loyers et pension par exemple).
Dans certains cas, quand la veuve n’est pas chassée de la maison, elle est juste un meuble dont pourrait hériter le frère ou le cousin du mari décédé (ces cas sont de plus en plus rares et ne se font plus sans le consentement de la femme). Le statut de la veuve et d’autres héritiers doit être approuvé par le Conseil de famille, dont le procès-verbal est déposé au Tribunal du Premier Degré ou de Grande Instance pour un jugement d’hérédité. Le procès-verbal du Conseil de famille est exigé devant le Tribunal du 1er Degré où les affaires sont jugées suivant la coutume des parties. Le Tribunal de Grande Instance peut se passer dudit document et les femmes qui se montrent rebelles face à la coutume le paient à leurs dépens.
QUE PREVOIT LA LOI ?
La Convention sur l’Elimination de Toutes les Formes de Discriminations à l’Egard des Femmes (UNIFEM) (United Nations Development Fund For Women) ratifiée par le Cameroun en 1994, énonce en ses articles 5(a) et 15 (1. 2) :
«Les Etats parties prennent toutes les mesures appropriées pour modifier les schémas et modèles de comportement socioculturel de l’homme et de la femme en vue de parvenir à l’élimination des préjugés et des pratiques coutumières, ou de tout autre type, qui sont fondés sur l’idée de l’infériorité ou de supériorité de l’un ou l’autre sexe ou d’un rôle stéréotypé des hommes et femmes»
LES ETATS PARTIES RECONNAISSENT A LA FEMME L’EGALITE AVEC L’HOMME DEVANT LA LOI
Les Etats parties reconnaissent à la femme, en matière civile, une capacité juridique identique à celle de l’homme et les mêmes possibilités pour exercer cette capacité. Ils lui reconnaissent en particulier les droits égaux en ce qui concerne la conclusion des contrats et l’administration des biens et leur accordant le même traitement à tous les stades de la procédure judiciaire. »
Le Protocole à la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples Relatif aux Droits des Femmes ratifiée par le Cameroun en 2009, en son article 11al 1et 2 s’agissant du droit succession énonce ce qui suit :
«La veuve a le droit à une part équitable dans l’héritage des biens de son conjoint. La veuve a le droit, quel que soit le régime matrimonial, de continuer d’habiter dans le domicile conjugal. En cas de remariage, elle conserve ce droit si le domicile lui appartient en propre ou lui a été dévolu en héritage. Tout comme les hommes, les femmes ont le droit d’hériter des biens de leurs parents, en parts équitables».
Le Code civil en son article 734 stipule que les enfants ou descendants succèdent à leurs et pères et mères ou ascendants sans distinction de sexe ou de primogéniture même s’ils sont issus d’unions différentes. Les enfants naturels et adultérins étaient exclus de la succession, mais depuis 1972 pour les premiers cités et 2001 pour les seconds, ces discriminations n’existent plus. Ceci peut paraitre injuste pour les enfants légitimes, mais les autres n’ayant pas demandé à naitre, sont pris au même pied d’égalité. La loi est dure, mais c’est la loi. Suivant les régions, les descendants (enfants et petits-enfants) ont plus ou moins les mêmes droits bien que dans le majeur des cas, la priorité soit donnée aux garçons et aux ainés (garçons). Le Code civil ne reconnait pas le droit d’ainesse et stipule que tous les enfants ont les mêmes droits.
L’Ordonnance n° 81-002 du 29 juin 1981 portant organisation de l’état civil et diverses dispositions relatives à l’état des personnes physiques en son article 77 stipule : «en cas de décès du mari, ses héritiers ne peuvent prétendre à aucun droit sur la personne, la liberté ou la part des biens appartenant à la veuve qui, sous réserve du délai de viduité de 180 jours à compter du décès du mari, peut se remarier librement sans que quiconque puisse prétendre à aucune indemnité ou avantage matériel, à titre de dot ou autrement , soit à l’occasion des fiançailles, soit lors du mariage ou postérieurement».
Pour les veuves, la part du conjoint survivant va se déterminer selon qu’on est en présence ou en l’absence des enfants, en présence ou l’absence des parents et des frères et sœurs du défunt. Les dispositions législatives applicables sont les articles 750 et suivants du Code civil. L’acte de mariage doit être en cours de validité, la femme divorcée n’a pas droit à la succession. On distingue les biens communs acquis pendant le mariage (à titre onéreux) et les biens propres à chacun des époux (acquis par donation ou succession). Après la liquidation de la communauté ou les biens entre époux sont équitablement partagés, le reste du patrimoine du défunt est réparti suivant les cas ci-après :
-EN PRESENCE D’ENFANTS :
Le conjoint survivant reçoit à son choix, soit la totalité du patrimoine en usufruit, soit le quart des biens en toute propriété. Cette option doit être exercée dans les trois (3) mois qui suivent le décès, faute de quoi, il est supposé avoir opté pour l’usufruit. Les héritiers et le conjoint survivant peuvent également transformer la rente viagère en capital versé au conjoint. Quand un ou plusieurs enfants ne sont pas issus du mariage avec le conjoint survivant, celui-ci n’a pas de choix, il reçoit le quart des biens en toute propriété.
-EN L’ABSENCE D’ENFANTS :
Si les parents du défunt (père et mère) sont encore vivants, le conjoint survivant recueillera la moitié des biens en toute propriété, l’autre moitié étant partagée à part égale entre le père et la mère. Si un seul parent est encore en vie, le conjoint survivant va recevoir les 3/4.
En l’absence d’enfants et des parents du défunt, le conjoint survivant reçoit la totalité du patrimoine, sauf les biens mobilier et immobilier acquis des parents par donation ou succession. Si ces biens figurent encore dans le patrimoine du défunt, les frères et sœurs de ce dernier (ou leurs descendants) en recueilleront la moitié.
Quand les ascendants du défunt autres que les père et mère sont dans le besoin, et que le conjoint survivant recueille la totalité ou les 3/4 de la succession, les héritiers doivent leur verser une pension alimentaire prélevée sur la succession. Ces ascendants doivent faire valoir leurs droits dans le délai d’un an après l’ouverture de la succession.
L’USUFRUIT
L’usufruit du conjoint survivant peut être transformé en rente viagère à la demande d’un des héritiers nu-propriétaire ou de l’usufruitier lui-même. En cas de désaccord, le litige est soumis à l’appréciation du juge. L’usufruit sur le logement et le mobilier ne peut être transformé en rente viagère contre la volonté du conjoint survivant.
Les héritiers et le conjoint survivant peuvent également convertir la rente viagère en capital versé au conjoint survivant. La femme est usufruitière dans tous les cas de figure parce que les biens ne se partagent pas du jour au lendemain.
LE LOGEMENT FAMILIAL
Le conjoint survivant l’occupe comme résidence principal (logement appartenant aux époux). Ce logement et le mobilier lui sont attribués gratuitement pendant un an. S’agissant d’un avantage matrimonial, cette occupation n’est pas soumise aux droits de succession.
S’il s’agit d’un logement loué, les loyers lui sont remboursés par prélèvement sur la succession. Ce droit d’occupation temporaire s’applique également quand le logement est familial possédé en indivision par le défunt et des tiers. Dans ce cas, ces tiers ont droit à une indemnité d’occupation prélevée sur la succession. Une fois écoulé le délai d’un an, le conjoint survivant a un droit d’usage et d’habitation sur le logement familial et son mobilier qu’il peut continuer à occuper jusqu’à son décès.
Si le logement n’est plus adapté à ses besoins, il peut le donner en location et dégager les ressources nécessaires à de nouvelles conditions d’hébergement. Le défunt peut par testament notarié priver son conjoint de ce droit d’usage et d’habitation. Le conjoint survivant doit opter ou non du droit d’usage et d’habitation dans un délai d’un an après le décès.
RESERVE DU CONJOINT SURVIVANT
La réserve est la part minimale que doivent recevoir les héritiers dits « Réservataires ». En l’absence d’ascendants et descendants, le défunt n’as pas le droit de déshériter le conjoint survivant. Ce dernier doit recevoir au moins un quart (1/4) du patrimoine du défunt.
LE DELAI DE VIDUITE
Le délai de viduité est un délai durant lequel, la veuve doit s’abstenir de contracter un autre mariage. Il est de 180 jours. On estime que durant ce temps, on peut éviter qu’une veuve se remarie étant enceinte de son précédent mari. C’est pour cela que la loi a prévu ce délai valable aussi bien en cas de décès d’un époux, qu’en cas de séparation de corps des conjoints dans un foyer. Lorsque vous êtes dans cette situation, vous n’avez pas le droit de vous remarier avant ces 180 jours. La question du délai de viduité ne concerne que les femmes.
LES FEMMES DOIVENT SE FORMER ET S’INFORMER SUR LEURS DROITS
Dans un passage de la Bible, Osée 4 verset 6, il est écrit que : « Mon peuple périt, faute de connaissance. » Ce verset pourrait aussi bien intéresser les chrétiens que les non chrétiens. Ceci dit, la femme qui connait ses droits est un bon agent pour le développement de son pays : dixit Onu-FEMMES. Les mariages à option monogamique connaissent moins de problèmes de succession par rapport aux mariages polygamiques. L’héritier ou l’héritière qui succède au défunt doit savoir qu’il accepte l’actif et le passif de ce dernier, ce qui veut dire que si le défunt a laissé des dettes, le successeur doit s’engager à les rembourser, sans oublier les impôts. Autrement, il n’est pas interdit de renoncer à la succession.
Tout ceci peut être évité, les femmes doivent Oser se plaindre pour faire valoir leurs droits tout en gardant l’esprit du dialogue, car un adage dit qu’un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès. Les femmes préfèrent parfois tout perdre pour sauver leur vie et celle de leurs enfants. Les hommes et les Chefs traditionnels (hommes et femmes) sont de plus en plus impliqués dans les séminaires de sensibilisation et de formation des femmes sur leurs droits. C’est ensemble hommes et femmes qu’on va arriver aux compromis qui arrangent tout le monde pour une meilleure application du slogan de l’Organisation des Nations Unies (ONU); «He for She».
Sylvie EKOBE / Juriste
Édifiant. Étant une jeune veuve, j’ai beaucoup appris de mes droits. Merci beaucoup
J’ai un souci avec ce texte car il ne reflète pas la lega lata mais peut-être à la lega feranda en ce qui concerne la vocation successorale de la femme. Bien vouloir revoir cette partie.
Svp quelle est la différence entre les deux ?