Au petit matin du lundi 12 juin 2023, une jeune femme a perdu la vie après avoir été poignardée non loin du carrefour des immeubles au quartier Kotto à Douala, une équipe de Griote est allée sur le terrain dans le but d’en savoir plus.
Pour débuter notre enquête, nous nous rendons ce mardi 13 juin 2023, au carrefour Kotto immeuble dans le cinquième arrondissement de la ville de Douala. Les lieux portent les stigmates du passage des hommes en tenue la veille ; comptoirs cassés, vitres des boutiques brisées, cendres issues de matériaux brûlés. Ici aucun commerce n’est opérationnel, depuis la veille au soir.
« A 22h ici hier c’était le sauve qui peut, je ne sais même pas comment j’ai fait pour arriver chez moi», explique une dame à un client venu lui demander pourquoi elle ne sert pas à manger. La dame serait tenancière d’un tourne-dos, mais ce jour pour elle, n’est pas destiné à son activité quotidienne. «Je suis juste venue voir ce qui se passe. Hier les gens couraient dans tous les sens. Nous maintenant on meurt quoi ? les innocents ont quoi à voir dedans », interroge-t-elle. Mais la descente musclée des forces de maintien de l’ordre ne s’est pas arrêtée à la soirée d’hier, elle s’est poursuivie ce jour. «Aujourd’hui, on a porté la marchandise du gars qui est souvent ici. Quand le mouvement a commencé je l’ai appelé son téléphone était éteint », nous informe un homme pas très loin de nous.
Le mouvement dont il parle, est une expédition punitive des forces de sécurité ce lundi soir, les images de cette opération musclée en circulation sur la toile, laissent percevoir la gravité de la situation. Il s’agit en effet du meurtre d’une jeune dame dont le décès suscite diverses versions des faits.
Sur les traces de cet autre féminicide
Nous prenons la direction du domicile des parents de la défunte. Au quartier Logbessou toujours dans le cinquième arrondissement de la ville de Douala, il nous est indiqué qu’il est possible de le trouver à ISICOM, siège social d’une université privée. A cet endroit, le stade Mauryvanas nous est pointé comme étant le lieu que nous cherchons, mais avant d’atteindre cette destination, un petit portail de couleur blanche situé à presque 300 mètres de notre point d’enquête nous est indiqué. Nous ne perdons pas de temps et nous y rendons. A l’entrée nous constatons que des feuilles de palmier et des branches d’arbre de paix jonchent la devanture ; signe que la maison est frappée par le malheur. A notre arrivée, nous sommes froidement reçus par deux jeunes femmes qui difficilement répondent à nos salutations. Lorsque nous déclinons notre identité, elles nous lancent un «je ne sais pas», face à la question de savoir si elles ont des informations sur le décès de leur sœur. Nous leur racontons une version des faits collectée avant d’arriver chez eux et recevons «c’est ce qu’ils disent » et nous de retorquer «que dites-vous ? », c’est tout de suite un silence de cimetière
En ce moment précis, la mère de la maison fait son apparition, souriante malgré la douleur de la perte de sa fille, visible dans son attitude. Sur le champ, elle nous indique le lieu exact ou la jeune femme a été poignardée «ils l’ont tuée à Brikini primaire », dit-elle. A la sortie de son époux c’est silence radio, personne n’a plus le droit de nous adresser la parole, nous sommes priés de quitter les lieux et de nous renseigner «auprès de la police ou des gendarmes de Bonamoussadi», nous indique le père de Jeanine Ndjock, sous un ton amer.
Nous rebroussons donc chemin et prenons la route de Brikini primaire, il s’agit d’une école située non loin du carrefour des immeubles, lieu où le major Ndjock a été poignardé. En face de cette partie non goudronnée de la chaussée, se trouve un bar, les habitants du quartier y ont leurs habitudes. «Le gouverneur était ici avec les autorités», nous informe une dame assise au milieu de plusieurs hommes, buvant du Matango. «Mais le gars là a dit qu’il ne sait rien, même hier quand ils étaient ici, il montrait ses mains en disant ; voila le sang sur mes mains, si je connaissais, j’allais moi-même la porter pour l’amener à l’hôpital ? », continue la dame. Dans ce bar en effet, le major Ndjock et cet homme dont nous n’avons pu avoir l’identité étaient connus, car ils s’y rendaient souvent. Il est détenu pour enquête depuis le décès de la jeune femme et ne se déplace qu’avec les responsables de cette mission. Pour la version des faits reçue de ces personnes au bar,
«En fait hein, les deux là étaient à la Croisière (ndlr : snack bar), ils sont sortis vers trois heures et ils se sont mis à rentrer parce qu’ils n’habitent pas très loin. Les gars des motos sont venus les agresser, ils ont pris le sac de la fille, les téléphones et l’argent. Lorsqu’ils voulaient partir la fille a dit qu’elle est gendarme, elle ne peut pas laisser. C’est comme ça que les gars ont planté le couteau sur sa gorge »,
relate notre source.
A travers ce récit, nous recevons plusieurs récriminations « c’est toujours comme ça ici, l’autre jour, ils ont pris mon téléphone, ce sont les gars qui ne sont même pas camerounais », lance un jeune homme suivi dans sa plainte par l’assistance. « Ici quand la nuit arrive tu pries seulement », dit une autre personne, «Quand tu descends de la moto au carrefour des immeubles les gars te suivent avec la moto, ils ont toujours les longs couteaux sur eux», affirme une troisième personne. Au snack-bar la croisière où nous allons, personne ne parle. Pour avoir le cœur net sur ces déclarations, nous nous rendons au commissariat de Bonamoussadi qui nous dirige vers la brigade territoriale d’Akwa Nord, qui elle nous envoie à la compagnie de gendarmerie de Ndogbong chargée de l’enquête.
Quel est donc le film du meurtre du major Ndjock ?
A la compagnie de gendarmerie de Ndogbong cette matinée, nous apprenons que le capitaine Bobodji Bello est sur le terrain avec le gouverneur de la région du littoral pour cette même affaire. Nous sommes invités à revenir en fin d’après-midi. En sortant des lieux, nous entendons une personne dire « les journalistes comme vous cherchez beaucoup là, la fille était en mission mais on ne va rien vous dire ». Nous quittons la compagnie de gendarmerie et revenons autour de 16H30.
Nous sommes dirigés vers un premier interlocuteur qui nous demande de rencontrer son chef. Le commandant nous reçoit avec calme et gentillesse, mais nous informe que l’enquête se poursuit et que nous serons avertis d’une communication le moment venu. Toutefois, avant de le rencontrer, une source à la gendarmerie nous relate les faits ayant conduit au décès du major Ndjock.
« Elle était effectivement avec quelqu’un mais c’est son voisin, il nous a dit qu’ils ne sortent pas ensemble. Ils étaient à la croisière et aux environs de 2h40, ils ont décidé de rentrer. Comme le vigile les connait, il a appelé une moto, mais la fille a dit qu’elle ne monte pas, elle veut acheter la cigarette, qu’ils cheminent à pieds. C’est comme ça qu’une moto est sortie de Kotto immeuble avec trois personnes. Celui qui était au bout est descendu, il a arraché le sac de la fille et les a bousculés. Les deux sont tombés, quand la fille se lève, elle dit qu’elle est gendarme, elle essaie d’empoigner le sac. Celui qui le tenait l’a poignardée à l’œil gauche, puisqu’il tenait un couteau en main … Le gars avec lequel la major était a stoppé une autre moto pour l’hôpital et elle est morte en chemin »,
revèle notre source qui a requis l’anonymat.
En mission ou pas, la gendarme Jeanine Ndjock est décédée dans des circonstances qui interpellent l’insécurité ambiante, elle était de la promotion 2017, appartenant a l’escadron numéro 2 de Mboppi, c’est depuis le mois de janvier 2023 qu’elle a obtenu le grade de major. Son meurtre vient se rajouter à celui des 33 autres femmes enregistrées au Cameroun depuis le début de l’année.
Clarence YONGO