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LA PROTECTION DU PATRIMOINE DE LA FEMME MARIÉE

La question de la protection dans la pratique du patrimoine de la femme se pose toujours avec acuité dans un environnement juridique favorable à l’homme, contrairement aux principes posés par la constitution, qui admettent une égalité juridique entre l’homme et la femme.

Les femmes mariées sont toujours soumises à la tutelle de leurs époux, élevés au rang de chef de famille, rôle qui leur permet d’administrer les biens de la commuté ainsi que les biens propres de la femme.

Pourtant, selon le professeur Léopold Donfack Sokeng, « La femme et l’homme ne peuvent avoir une condition sociale identique parce que la société ne leur assigne guère le même rôle. Naturellement différent l’un de l’autre, ils jouissent cependant des mêmes droits parce que partageant la même dignité d’être humain».

Les règles légales de protection du patrimoine de la femme dans les liens du mariage

Le législateur camerounais a offert la possibilité aux candidats au mariage de choisir aussi bien le régime que la forme du mariage qui leur convient, mais cette liberté n’est pas sans conséquence sur le sort réservé au patrimoine de l’épouse.

La protection des biens de la femme mariée dans le contexte du régime monogamique

La famille fondée sur le mariage, cellule de base de la société, peut être restreinte ou étendue. La plus restreinte se compose d’un conjoint et une conjointe.

Il peut arriver qu’au moment de la célébration du mariage, l’épouse soit déjà propriétaire de biens ou qu’elle en acquière pendant le mariage. Il se pose dès lors, la question de savoir si ces biens seront confondus dans une masse commune, ou s’ils demeureront la propriété exclusive de l’épouse.

Les réponses à ces diverses interrogations font appel à la notion de régime matrimonial. Le régime matrimonial se définit comme l’ensemble des règles relatives aux rapports pécuniaires des époux entre eux et à l’égard des tiers. Deux types de régime matrimonial ont été élaborés, à savoir, le régime de la séparation des biens et le régime de la communauté des biens.

Dans un régime de séparation des biens

Dans le régime de la séparation des biens, il y a distinction entre les patrimoines des époux : chaque époux conserve en effet la propriété, l’administration et la jouissance de ses biens, ainsi que la charge de ses dettes. Par contre, il contribue, proportionnellement à ses facultés, aux dettes et charges du ménage lorsque la part de cette contribution n’a pas été déterminée dans le contrat de mariage.

Face à ce régime, la femme mariée à la gestion de ses biens et l’époux ne peut exercer aucun droit sur ceux-ci.

Dans un régime de la communauté des biens

Les époux qui se marient sans contrat de mariage relèvent, par défaut, du régime légal de la communauté réduite aux acquêts. La répartition des biens entre les époux se fait en trois masses distinctes : les biens propres du mari, les biens propres de l’épouse et les biens communs.

Dans ce régime, le code civil fixe le mode d’administration de la communauté réduite aux acquêts et des biens propres des époux mariés, en attribuant des pouvoirs exorbitants au mari en tant que chef de la communauté conjugale que lui confère l’article 213 du code civil qui dispose :

« Le mari est le chef de la famille. Il exerce cette fonction dans l’intérêt commun du ménage et des enfants (…)».

Selon les articles 1421 et 1428 du code civil, les femmes ne peuvent pas avoir la pleine et entière jouissance de leurs biens, ce qui crée une inégalité entre elles et leurs maris, contrairement aux dispositions de la constitution.

Articles 1421 «Le mari administre seul les biens de la communauté. Il peut les vendre, aliéner et hypothéquer sans le concours de la femme» ;

Article 1428 : «Le mari a l’administration de tous les biens personnels de la femme. Il peut exercer seul toutes les actions mobilières et possessoires qui appartiennent à la femme (…)» ;

À cet égard, l’article 1421 du code civil octroie au mari le droit d’administrer les biens de la communauté, reconnaissant ainsi à celui-ci le droit de vendre ou d’hypothéquer les biens du couple sans le consentement de son épouse.

Néanmoins, si le mari est hors d’état de manifester sa volonté, la femme peut être habilitée par la justice à le représenter dans l’exercice des pouvoirs qu’il tient des articles 1421 et 1428 du code civil.

Face à une gestion désastreuse des biens de la communauté par le mari, la loi permet à la femme d’exercer son droit d’hypothèque sur tout le patrimoine (biens immobiliers qui existent dans le patrimoine du mari à la dissolution du mariage) : il s’agit de l’hypothèque légale de la femme mariée.

La protection du patrimoine de la femme mariée dans un foyer polygamique

Dans un foyer polygamique, la protection des biens de l’épouse n’est pas chose aisée.

Le code civil tel qu’il est appliqué au Cameroun, n’impose ni à un mariage monogamique, ni à un mariage polygamique un régime matrimonial déterminé. Le principe demeure le respect de la liberté des conventions matrimoniales. Ainsi, un mari polygame tout comme un mari monogame peut opter indifféremment pour le régime de la communauté ou de la séparation des biens.

Dans un régime de séparation des biens

Dans ce type de régime, les mêmes règles sont applicables comme dans un mariage dont les conjoints sont monogames, chacun des conjoints administre ses biens propres.

Dans un régime de la communauté des biens

Le foyer polygamique a un mode de fonctionnement assez particulier, puisqu’il n’existe pas de communauté de biens entre les différentes épouses et une communauté de biens entre chaque épouse et leur conjoint. La protection des biens de l’épouse dans ce régime s’avère difficile, raison pour laquelle la tendance actuelle semble être l’adoption de plus en plus du régime de la séparation des biens dans un mariage polygamique.

Néanmoins, en l’absence de choix clair dans un contrat de mariage d’un régime particulier, chacune des épouses se verra appliquer le régime par défaut qui est celui de la communauté réduite aux acquêts.

Mais lorsque l’une des épouses opte pour la communauté des biens, les règles de gestion des biens communautaires seront les mêmes que celles rappelées plus haut.

L’insuffisance des mesures de protection des biens de la femme lors de la rupture du lien matrimonial

En Afrique ancestrale, les biens du ménage appartiennent traditionnellement au mari et sont gérés par lui. L’idée d’un partage avec la femme au terme de la vie familiale semble impensable. Mais, aujourd’hui, les sources de richesse des couples se sont diversifiées. Les choses ont évolué dans la mesure où parfois, les deux époux travaillent et constituent ensemble le patrimoine familial.

Si la loi permet à la femme divorcée de réclamer une pension alimentaire, pour elle-même et ses enfants, la situation est bien plus compliquée lorsqu’il s’agit du partage des biens de la communauté.

L’insuffisance des mesures de protection des biens de la femme mariée sous le régime de la monogamie

En cas de divorce

Lorsque les époux ont opté pour le régime de la séparation des biens, chaque époux reprend tous les objets qui lui appartiennent et dont il justifie être propriétaire par titre, usage, marques ou factures. S’ils ont opté pour le régime de la communauté des biens, la dissolution par le divorce entraîne le partage par moitié des biens de la communauté (article 1474 du code civil) : il s’agit de la liquidation de la communauté de biens ayant existée entre les époux.

Article 1474 : « Après que tous les prélèvements des deux époux ont été exécutés sur la masse, le surplus se partage par moitié entre les époux ou ceux qui les représentent ».

Les tribunaux de droit moderne n’appliquent toujours pas le principe égalitaire dans le partage de la communauté comme en dispose l’article 1474 du code civil, appuyé par la jurisprudence camerounaise (C.S., 28 juillet 1995, arrêt n°68/L : R.C.D. N°30, P.417).

En cas de pré-décès de l’époux

Dans notre société, il est absurde de parler de la vocation successorale d’un conjoint survivant et a fortiori de la femme, considérée selon certains comme une «chose», pourtant la successibilité du conjoint est envisagée par le code civil dans ses articles 767 et suivants sans aucune discrimination tenant au sexe, lesquels disposent : «Lorsque le défunt ne laisse ni parents au degré successible, ni enfants naturels, les biens de sa succession appartiennent en pleine propriété au conjoint non divorcé qui lui survit et contre lequel n’existe pas de jugement de séparation de corps passé en force de chose jugée».

Trois conventions internationales prévoient pourtant le droit de la femme à succéder à son mari, à savoir :

La Convention sur l’Elimination de toutes les formes de Discriminations à l’Egard des femmes (CEDEF) ratifiée par le Cameroun en 1994, de concert avec le Protocole de Maputo relatif aux droits des femmes en Afrique, la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples Relatif aux Droits des Femmes ratifiée par le Cameroun en 2009, en son article 11alinéa 1, s’agissant du droit de la femme à la succession énonce ce qui suit :

« La veuve a droit à une part équitable dans l’héritage des biens de son conjoint. La veuve a le droit, quel que soit le régime matrimonial, de continuer d’habiter dans le domicile conjugal. En cas de remariage, elle conserve ce droit si le domicile lui appartient en propre ou lui a été dévolu en héritage (…) ».

L’Ordonnance n° 81-002 du 29 juin 1981 portant organisation de l’état civil et diverses dispositions relatives à l’état des personnes physiques en son article 77, dispose : « (…) En cas de décès du mari, ses héritiers ne peuvent prétendre à aucun droit sur la personne, la liberté ou la part des biens appartenant à la veuve (…) ».

Les juges semblent réticents à prononcer la liquidation de la communauté des biens ayant existée entre les époux avant l’ouverture de la succession.

L’insuffisance des mesures de protection des biens de la femme mariée sous le régime de la polygamie

A la dissolution du mariage polygamique le problème de la détermination même du régime applicable et des éléments à prendre en compte pour le partage des biens de la communauté se pose.

Le code civil de 1804 tel qu’il est appliqué au Cameroun, n’avait considéré la communauté de meubles et acquêts que comme un régime légal ne devant s’appliquer que dans le cadre d’un mariage monogamique à l’instar de la société française.

Au Cameroun, il y a une tergiversation des juges du fond quant au partage des biens dans ce type de communauté.

Si pour les uns il existe autant de communautés avec le mari que celui-ci a d’épouses (Douala, 30 avril 1971 : R.C.D. N°3. P.95), prenant en considération l’élément temporel, certains juges du fond ont décidé dans une espèce où le divorce était intervenu entre le mari et la première femme que rentraient dans cette communauté les biens acquis avant le second mariage du mari.

Ces juges ont attribué les 2/3 des biens au mari et les 1/3 à la femme. Leur décision est cassée par la Cour Suprême qui toutefois, n’indique pas les éléments  à prendre en considération pour la formation de la masse communautaire partageable. Dans d’autres décisions, les juges se contentent alors d’affirmer l’existence d’une communauté dont ils ordonnent la liquidation et laissent le soin au notaire commis d’en fixer les règles.

La tendance actuelle semble être l’adoption de plus en plus du régime de la séparation des biens dans un mariage polygamique, surtout lorsque certaines ou toutes les épouses exercent une profession séparée de celle de leur mari, ou le partage sous condition de participation. La polygamie n’est pas une institution de solidarité, surtout entre les femmes. Chacune vit pour soi, et il n’y a pas de rapports patrimoniaux entre elles.

Pour le professeur Stanislas Melone de regrettée mémoire, dans le contexte du mariage polygamique, les rapports du mari avec chacune de ses épouses sont constitutifs d’un ménage distinct non susceptible d’être confondu avec les autres. La communauté est donc constituée par les biens du mari et ceux de chacune des femmes et non par les biens du mari et les biens de toutes ses femmes.

Cependant, cette thèse comporte des difficultés de mise en œuvre. Elle suppose d’abord l’exclusion éventuelle des biens acquis avant le mariage de la communauté conjugale ; ensuite, la connaissance précise de la date du mariage de chaque épouse et, enfin, la nécessité d’un inventaire des biens existants appartenant au mari seul ou avec chacune de ses épouses, et cela, avant chaque nouveau mariage. Il faudrait donc mettre en évidence une communauté des petites communautés et le partage devrait tenir compte de chaque groupement. La liquidation du ménage polygamique est donc absolument complexe.

Rien n’empêche le mari de cumuler les régimes dans un mariage polygamique : séparation de biens avec l’une ou les unes, communauté avec l’autre ou les autres, sans option avec certaines, le partage d’une éventuelle communauté est véritablement une impasse lorsqu’entre en ligne de compte la diversité des relations interpersonnelles et patrimoniales existant entre les différents conjoints.

Conclusion

En définitive, au Cameroun, à côté des normes culturelles qui empêchent les femmes de recevoir un traitement égal à celui de l’homme et partant d’avoir la gestion de son patrimoine, s’ajoutent les textes de loi discriminatoires qui désignent le mari comme « tuteur » de la femme, maintenant ainsi celle-ci dans un statut permanent «d’incapable » alors que le progrès de notre société passe par la promotion de la femme. Celle-ci suppose la suppression des inégalités liées au genre.

Sylvie Ekobe / Juriste

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